C’est dans un tweet doublé d’une ironie incisive, que le porte-parole du gouvernement gabonais a souligné la lourde erreur de RFI dans l’un de ses reportages qui nous laisse quelque peu sceptique quant à son côté intentionnel. Notre rédaction vous livre ici un décryptage.
Le vrai journalisme ne se conforme pas sensationnalisme. Mais ce qu’on trouve dommage, c’est d’aucuns dans la profession, « pour faire de l’audience », n’hésite pas à s’y livrer.
En effet, c’est dans un reportage diffusé mercredi 3 juillet sur ses ondes et reproduit sur son site internet, intitulé « Depuis sa prison, l’ancien patron de la Gabon Oil Company s’en prend à la justice gabonaise », que RFI reproduit en ces termes un tweet du porte-parole du gouvernement.
« Accuser les autres de ses malheurs est le fait d’un ignorant », a tweeté le porte-parole du gouvernement Alain Claude Bilie By Nze, citant le Manuel d’Épictète.
La radio française a une ligne directrice bien précise. Ladite radio veut confronter Christian Patrichi Tanasa, l’ex-ADG de la GOC, qui vient d’être condamné à 12 ans de prison pour des détournements de fonds, aux autorités gabonaises, plus précisément à l’Exécutif.
Ici, RFI se fait donc le relais de la stratégie de la défense des accusés dans l’Opération Scorpion qui n’ont de cesse, par l’entremise des médias, de tenter d’attraire dans ce procès, tantôt le président, tantôt son épouse ou son fils, etc.
Il y a déjà quelques semaines, les avocats de Brice Laccruche Alihanga avait déjà tenté leurs chances, mais sans aucun succès. Le même Bilie-By-Nze s’était alors fendu d’une formule aussi tranchante que cinglante, les renvoyant dans les cordes. « Ce n’est pas dans les médias mais devant les tribunaux que l’on fait des plaidoiries », avait-il cinglé lors d’une conférence de presse.
Le but de la défense des accusés dans l’Opération Scorpion est non seulement de faire oublier qui sont les véritables accusés (dans leur esprit, le « régime de Libreville » et non leurs clients) mais également, en tentant de créer une confrontation par la voie médiatique entre eux et l’Exécutif (à défaut de la Présidence, leur véritable objectif, à tout le moins le Gouvernement) et en escamotant la Justice, de montrer que le Gabon n’est pas un véritable Etat de droit puisque c’est l’Exécutif qui, selon eux, dicterait à la Justice, forcément non-indépendante, ce qu’elle doit dire. Autrement dit, dans quel sens elle doit juger.
C’est ce procédé, qui a tous les atours d’une grosse ficelle, que reprend RFI dans son reportage. Mais mal lui en a pris. Conscient du piège tendu, Alain-Claude Bilie-By-Nze, l’un des hommes politiques les plus fins du pays, prend grand soin de l’éviter tout en pointant du doigt le procédé et son caractère spécieux.
« RFI Afrique, si j’en crois votre article, mon tweet daté du 23 juillet serait la réponse à la lettre de Monsieur Patrichi Tanassa publiée le 31 juillet. Curieux non ? », a tweeté, tout en ironie, le porte-parole du Gouvernement.
@RFIAfrique si j'en crois votre article, mon tweet daté du 23 juillet serait la réponse à la lettre de Monsieur Patrichi Tanassa publiée le 31 juillet. Curieux non ?
— Bilie-By-Nze (@BilieByNze) August 3, 2022
Mais cette erreur factuelle, si grossière qu’on peine à croire qu’elle n’est pas intentionnelle, n’est pas « le seul problème soulevé par ce reportage de RFI », explique un professeur en communication de l’UOB. « D’une part, s’agissant du choix du sujet lui-même. RFI donne l’impression que la lettre de Christian Patrichi Tanasa est un événement au Gabon. Comme s’il n’y avait pas d’autres sujets plus importants. Or, c’est dans le choix des sujets qu’un média décide de traiter, ce qu’on appelle l’éditorialisation, que se jauge sa neutralité et non simplement dans le traitement individuel de chaque article ou reportage ».
Un article publié en juillet dernier, basé sur des données objectives et incontestables, avait mis en évidence le fait que 100 % des reportages à tonalité politique réalisés par RFI dans le courant du mois de juin 2022 étaient favorables à l’opposition et/ou défavorables à la majorité.
« D’autre part », poursuit l’universitaire, « dans son reportage, RFI cite trois médias. Pour le premier, Reflets Gabon, plutôt proche de la majorité, seul le titre est mentionné. En revanche, pour les deux autres, proches de l’opposition, Gabon Review et Gabon Media Time, ceux-ci ont droit à un long développement. Ainsi, non seulement il y a un déséquilibre dans le choix des médias, 2 contre 1, mais également, et c’est plus subtile, dans l’ampleur du traitement qui est réservé à chacun ». De fait, quand Reflets Gabon a droit à une ligne très factuelle sur le fond, Gabon Review et Gabon Media Time, ont les honneurs d’un paragraphe entier chacun dont le contenu est très acrimonieux à l’endroit des institutions gabonaises.
Enfin, conclut le professeur de l’UOB, « si les mots ont un sens, il est maladroit pour un média de parler de ‘nouvelles révélations sur la gestion des entreprises d’État’ de la part de Patrichi Tanasa comme le fait RFI dans le début de son reportage. Il aurait été plus judicieux d’évoquer des ‘allégations’ puisqu’il ne s’agit pas, sauf preuve du contraire, de faits vérifiés », décrypte l’universitaire. « Ce faisant, RFI prête le flanc à l’accusation de parti pris », ajoute-t-il.
Au Gabon, comme ailleurs en Afrique, RFI est considérée comme la « voix de l’opposition ». Loin de sa vocation originelle : celle d’informer en toute neutralité. Plutôt que de pousser des cries d’Orfraie à cette invocation, ses journalistes et sa direction devraient s’interroger sur les raisons profondes de ce qu’il est convenu d’appeler une « dérive ».